Le thème Tribunaux et sorcellerie : Expertise culturelle dans le procès pénal est le sujet qui a réuni du 11 au 14 Mai 2022 à l’Université Alhassane OUTTARA de Bouaké, des scientifiques Historiens de droit ou Juristes, sociologues, anthropologues, praticien, coutumiers, doctorants, étudiants… venus entres autres de la République de Guinée, du Sénégal, du Bénin, du Cameroun, de la France et des Universités Ivoiriennes (Daloa, Korhogo, Abidjan, Bouaké…).
C’est dans cette optique que M.Cherif DIALLO, Président du Conseil d’Administration du Club Humanitaire sans Frontières Guinée et par ailleurs Enseignant-chercheur en Sciences Juridiques a été officiellement retenu et invité par le CAHDIIP et ses partenaires.
Dans son intervention, M.Cherif DIALLO a préféré se pencher sur la réflexion liée au juge guinéen en formulant son sujet comme suit : « Tribunaux et sorcellerie : Perception et interprétation faites par le Juge guinéen ».
Lors de son exposé, il a rappelé qu’en République de Guinée, le crime de sorcellerie est prévu et puni par la Loi N°2016/059/AN du 26 octobre 2016 portant promulgation du Code pénal guinéen qui, au Chapitre VI parle des atteintes à l’exercice et des troubles à l’ordre public commis par le ministère des cultes. La section 3 dudit chapitre est relative principalement au Charlatanisme. L’article 704 de la Loi suscitée dispose : « Est puni d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque participe à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou la vente d’ossements ou d’organes humains ou se livre à des pratiques de sorcellerie, de magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public et porter atteinte aux personnes ou à la propriété.»
Ainsi, pour mieux aborder son sujet, l’expert guinéen invité pour la circonstance a décidé de formuler sa problématique en se demandant sur quelle base pourrait se fonder le juge guinéen, en tant que juge ordinaire, ayant pour principal arme les sources du droit positif, n’ayant pas été initié aux sciences occultes et n’ayant pas suffisamment ou nullement d’expertise culturelle en matière de procès pénal pour interpréter ou juger une affaire de sorcellerie proprement dite au sens stricto census du terme sans aucune requalification des faits ?
Dans la réponse à cette problématique, il a décidé tout d’abord de parler du niveau de prise en compte du phénomène sorcellaire dans la législation guinéenne avant d’aborder la perception et l’interprétation du juge guinéen en matière de sorcellerie.
Par rapport au premier point, il a rappelé qu’en parcourant la loi Loi N°2016/059/AN du 26 octobre 2016 portant promulgation du Code pénal guinéen, l’on se rend compte que la sorcellerie n’est mentionné qu’à la section 3 du Chapitre VI qui nous parle par ailleurs des atteintes à l’exercice et des troubles à l’ordre public commis par le ministère des cultes. Dans la section 3 du Chapitre VI cité ci haut, le législateur n’a consacré qu’une seule disposition mentionnant la terminologie « Sorcellerie » et l’assimilant au charlatanisme qui est d’ailleurs l’intitulé de ladite section.
A la lecture de cette unique disposition, l’on se rend compte que le législateur guinéen, à travers la Loi L059 du 26 Octobre 2016 portant promulgation du Code pénal ne donne aucunement pas une définition expresse de la sorcellerie. Par ailleurs dans toute la législation guinéenne y compris les 1011 articles qui constituent la loi L/059, le législateur n’emploi la terminologie « Sorcellerie » qu’une seule fois. Par ailleurs le Code de procédure pénal n’en fait point cas.
Il a rappelé en abordant le second point, que l’établissement des preuves pour des faits de sorcelleries étant très complexe et subjectifs aux yeux des juges guinéens, ils s’attèlent donc à juger plus les conséquences de la sorcellerie qui pourraient en outre entraîner le trouble à l’ordre public ou des infractions sus-jacentes à la sorcellerie tel que le meurtre, l’assassinat, l’empoisonnement, l’homicide volontaire avec des circonstances aggravantes pour certains cas, l’envoûtement. C’est pourquoi, on comprend alors la difficulté de juger la négativité surtout dans un régime juridictionnel relevant de la positivité d’un droit qui ressort à la fois de la responsabilité individuelle et de l’objectivation des preuves et qui fait moins allusion à l’expertise culturelle.
En concluant ses propos, M.Cherif DIALLO a confirmé que vu ses recherches, les échanges et les différents témoignages qu’il s’avère incontestable que le phénomène sorcellaire existe dans nos sociétés et que seuls les sorciers animés de mauvais esprits sont concernés par une procédure judiciaire. Et par ailleurs, il a mis une mention spécial sur l’insuffisance du système juridique africain en général et celui guinéen en particulier sur les questions relatives à la sorcellerie avant de confirmer avec une pleine conviction que nos tribunaux à l’état actuel de leurs compositions et de leurs fonctionnement sont matériellement incapables pour connaître ou se prononcer sur des faits de sorcellerie au sens stricto sensu du terme.
Par conséquent il a recommandé aux juristes de poursuivre ces genres de réflexions pouvant mener à la révision des législations nationales en vue de prendre en compte de façon plus large les questions relatives aux sciences occultes en général et la sorcellerie en particulier puis que ce sont des phénomènes qui reflètent nos réalités sociétales. En plus il affirme qu’il croit fermement à la possibilité de mettre en place des juridictions spécialisées en matière de sciences occultes et dont les juges devant siéger seront initiés et prêteront serment conformément au droit traditionnel.
En plus de M.Cherif DIALLO, la participation des Professeurs titulaires à l’image des Professeurs Seydou DIOUF de l’Université Cheick Anta DIOP du Sénégal, Séraphin NENE BI des Universités ivoiriennes et Directeur du CAHDIIP, le Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques de l’Université Abomey CALAVI du Bénin, Sylvain SOLEIL de l’Université de Rennes 1, Thierry HAMON, les Docteurs Simon BELLA et Achille Magloire NGAH venus des universités camerounaises et plusieurs autres Enseignants des Universités ivoiriennes (Félix Houphouët BOIGNY d’Abidjan, Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo et Alhassane Ouattara de Bouaké) et praticiens ont permis de rehausser le niveau d’intérêt des échanges.
Parmi les participants, il faut rappeler qu’en plus des experts invités, les étudiants, les auditeurs des Masters, les Doctorants ainsi que plusieurs autres scientifiques ivoiriens ont pris part avec intérêt à la rencontre scientifique et ont contribué, témoigné et poser des questions pertinentes qui ont permis de mieux enrichir les débats.
Pour terminer, il faut rappeler que les chefs traditionnels et coutumiers de plusieurs chefferies de la Côte d’Ivoire ont massivement pris part audit colloque ainsi que des femmes appelées les « Komians » détentrices des pouvoirs des chefs coutumiers.
C’est par des notes de satisfaction et la remise des diplômes au participant que le colloque a prit fin.